Une philanthropie invisible chez les Noirs

Même avec un don médian annuel aux organismes de 600 $, les activités philanthropiques des communautés noires du Québec demeurent souvent peu reconnues et rarement documentées, révèle une Étude (« Signes vitaux ») réalisée par la Fondation du grand Montréal en collaboration avec l’Observatoire des communautés noires, une filiale du Sommet afro.
Qu’il s’agisse de dons d’argent, de bénévolat ou de soutien direct aux personnes, plus de 87,9 % des personnes interrogées ont donné dans les 12 mois précédents leur participation au sondage, mais seulement une sur deux se considère comme philanthrope.
« Cette hésitation s’explique en partie par une conception dominante de la philanthropie, associée aux grandes fortunes et aux dons institutionnels, qui invisibilise la diversité des pratiques présentes au sein des communautés noires », soulignent les chercheurs.
Pourtant, une philanthropie plurielle existe au sein de ces communautés. Les répondant.e.s associent la philanthropie à l’amour de l’humanité et au souci du collectif, bien au-delà du seul don d’argent.
- En plus des dons monétaires, elles donnent :
- Du temps (bénévolat, entraide, mentorat)
- Des biens (vêtements, nourriture, matériel)
- Du soutien direct aux personnes en difficulté
- Des contributions à des organismes communautaires ou religieux
- Le don médian annuel aux organismes est de 600 $.
Mais il y a un problème de traçabilité de ces dons, constatent les chercheurs. «Le manque d’informations donne beaucoup d’infos. On n’a pas de trace, ce constat peut nous mener à documenter davantage », note Catherine Fisette, directrice affaires publiques et communication à la Fondation du grand Montréal.

Mais, «je pense que les gens donnent ici quand même. Mais, il manque la traçabilité des dons locaux en temps, en argent et sous toutes ses formes», souligne Mme Fisette.
Pour sa part, la directrice de l’Observatoire, Bélinda Bah, croit que le fait l’identité ethnoculturelle des personnes ne sont pas prise en compte dans les enquêtes réalisées au Canada constitue un problème majeur aussi dans le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de trace de ces dons.

« Avec les préjugés qu’il y a derrière (à savoir que les Noirs sont des gens qui reçoivent et qui ne donnent pas ), cela invisibilise ce groupe et ne permet pas d’avoir l’heure juste », estime Mme Bah.
Des solidarités locales et diasporiques
Près de 80 % des personnes nées à l’étranger soutiennent leurs proches dans leur pays d’origine. Ces dons diasporiques, souvent motivés par la solidarité familiale, participent significativement au développement social et économique des pays d’origine, une contribution encore largement sous-estimée dans les statistiques officielles.
La Concertation haïtienne pour les migrants (CHPM) avait publié, en mai 2024, une enquête sur les transferts de fonds de la diaspora canadienne vers Haïti. On parle de 230 millions de dollars en 2023. Un montant qui varie selon la situation économique des gens et qui n’est pas fiscalisé.
« En appliquant la règle de 20% en crédit d’impôt offert pour les dons de charité, on estime que les deux paliers de gouvernement ont économisé $ 45 859 441 pour 2023 », estime la CHPM.
Fiscaliser les transferts
L’organisme avait proposé la création d’un Fonds de la diaspora d’investissement pour Haïti afin d’adresser les problèmes de santé, d’éducation, des services de base, entre autres. Les projets devaient venir des communautés locales des régions du pays afin d’aider à la décentralisation.
L’approche de Montréal proposait que les gouvernements fiscalisent les dons faits par la diaspora à leur communauté locale en Haïti. Ces fonds viennent des revenus nets des citoyens et résidents permanents du Canada et ne bénéficient d’aucun incitatif fiscal.
« Comme prémices, regardons l’aide de la diaspora qui pourrait être éligible au crédit d’impôt, on pourrait faire plus de 40 millions d’économies par année aux fins d’aide humanitaire et qui pourrait servir à cette fin», fait remarquer Édouard Staco, président du Sommet afro.
Sur 5 ans, 200 millions d’économies qui auraient été faites par cette approche «non d’aide internationale, mais d’investissement», ajoute-t-il.
Notons que les données consultées par la Concertation dans le cadre de ces analyses proviennent soit de la Banque du Canada ou d’Affaires mondiales Canada. Des chiffres qui sont colligés dans leurs rapports annuels.
Des freins persistants à la participation philanthropique
Les principaux obstacles identifiés sont : des ressources financières limitées, surtout chez les personnes à faible revenu ; une méfiance envers certaines institutions en raison d’un manque de transparence ; un manque de reconnaissance publique des contributions noires ; des processus de financement jugés lourds et mal adaptés aux réalités des petits organismes ; un faible accès aux réseaux décisionnels du milieu philanthropique.
Des organismes essentiels, mais sous-financés
Les organisations dirigées par des personnes noires jouent un rôle clé dans la cohésion sociale : elles agissent dans les domaines de l’éducation, de la culture, de la santé, de l’emploi et de la lutte contre le racisme.
Pourtant : 58,3 % des dirigeant.e.s interrogé.e.s trouvent difficile d’obtenir du financement institutionnel. 38,9 % estiment que ce problème est grave.
À l’échelle canadienne, les organismes dirigés par des personnes noires ont reçu moins de 0,07 % des fonds philanthropiques des grandes fondations entre 2017 et 2018. Ce sous-financement chronique limite leur capacité d’action malgré leur rôle dans le développement social et communautaire.



