SPVM: une politique d’interpellation qui divise

« Quand on me dit que la personne interpellée n’a aucune obligation de s’identifier, je ne pourrai pas ne pas lui répondre. J’ai peur», lance Nadia, la voix tremblante, au chef du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Fady Dagher.
« On va se le dire, la police est intimidante. Un jeune, face à un policier qui est un personnage intimidant ne pourra pas se retirer facilement dans cette situation. Le jeune qui a peur ne pourra pas », ajoute Claudine, une autre jeune qui assistait à la rencontre et qui a été invitée aussi à se prononcer.
Le commandant du SPVM rencontrait, le 17 juin dernier, les organismes membres du Sommet Afro autour de la nouvelle mouture de sa politique d’interpellation rendue public récemment mais qui doit entrer en vigueur en automne.
Toutefois, de manière proactive, le SPVM a donné comme directive à ses policières et policiers d’informer la personne interpellée, au début de l’intervention, de la raison de son interpellation et du fait qu’elle est libre de quitter. « Cette directive prend effet dès maintenant », précise un communiqué de l’institution.
Pourtant, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) et des chercheurs ayant travaillé sur la question ont demandé, purement et simplement, de mettre fin à cette pratique. C’est aussi la position du Sommet Afro. Son président, Édouard Staco, a croisé le fer avec le chef de la police, Fady Dagher, lors de la rencontre.
«Pour nous, cela ne rejoint pas les attentes, argumente M. Staco, il faut l’interdire tout simplement. La preuve scientifique est faite que c’est un outil raciste.»
«Là, on est complètement en désaccord, rétorque M. Dagher, malgré toutes les études que tu pourras me sortir.»
Si les jeunes ont peur, les adultes, même les plus érudits, n’étaient pas au courant des changements ou de la manière de se comporter face à une interpellation. C’est le cas pour Victor Armony, pourtant chercheur ayant produit deux rapports de travail sur la question des interpellations.
«En tant que citoyen, avant de commencer à travailler sur la question je ne savais pas que j’avais le droit de refuser de répondre à un policier», avoue le professeur Armony lors d’une entrevue avec In Texto. «Quand je l’ai dit à des étudiants cette semaine, la vaste majorité ne savait pas non plus », ajoute-t-il.
Il a travaillé à deux reprises (en 2019 et en 2023) sur le sujet à la demande de la Ville de Montréal. Son dernier rapport avait recommandé tout simplement un moratoire sur les interpellations. Contrairement à son avis, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) annonce une nouvelle mouture de sa politique en la matière.
«Toute amélioration est bienvenue, dit le professeur Armony, mais dans ce cas-ci il ne suffit de juste de peaufiner, raffiner, ajuster une politique parce que l’interpellation en tant que telle est juste problématique. Elle produit de la discrimination et son utilité n’est pas démontrée et elle reproduit des problèmes de confiance mutuelle entre la police et les communautés visées »
« À quoi cela sert ? Vous nous dites que c’est important, mais il n’y a pas de données scientifiques probantes qui justifient l’emploi des interpellations », affirme Victor Armony à l’instar de la CDPDJ dans ses réflexions et recommandations.

INTERPELLATION POLICIÈRE : Interaction initiée par un policier auprès d’une personne afin de recueillir ou de tenter de recueillir des informations à son sujet, y compris des renseignements identificateurs.
Le policier peut procéder à une interpellation policière lorsque l’ensemble des faits observables lui fournit une raison d’interagir avec une personne dans l’un des objectifs suivants:
-assister une personne dans le besoin;-identifier une personne recherchée (circulaire corporative, fugue, disparition);
-obtenir des informations sur des activités suspectes pour détecter ou prévenir des infractions criminelles, pénales ou règlementaires;
- obtenir des informations sur une possibilité d’infraction criminelle, pénale ou règlementaire;
- obtenir des informations dans un but de renseignement en lien avec des individus qu’on soupçonne raisonnablement d’être impliqués dans des activités illégales.
Depuis 2020, le SPVM a fait de la formation et a monté une équipe de coach pour amener les policiers à améliorer l’outil. Mais rien, nada.
« Au regard des données, souligne Victor Armony, l’aiguille n’a pas bougé et en plus la majorité des policiers nient les faits. » « Il faut les arrêter, plaide-t-il, il y a des juridictions au Canada qui l’ont fait et cela n’a pas fait augmenter la criminalité »