Québec a encore trop d’analphabètes en 2025

Avec plus d’un million de personnes ayant moins de 9 ans de scolarité, donc analphabètes, le Québec peine à remonter la pente voire éradiquer l’analphabétisme. La directrice du Centre NA RIVÉ, Ninette Piou, déplore une absence de politique de lutte de la part du gouvernement provincial.
L’organisme évolue dans ce domaine depuis une cinquantaine d’années et depuis 1983, il institue l’alphabétisation même en langue créole dans le cadre d’ateliers qui ont lieu à Montréal.
«Il n’y a pas une démarche de lutte à l’analphabétisme, affirme Ninette Piou, la directrice générale du Centre, on ne fait que saupoudrer, mais on ne prend pas les mesures nécessaires pour le déraciner.»
À l’occasion de la Journée internationale de l’alphabétisation, le 8 septembre, Mme Piou nous parle de la situation au Québec lors d’une entrevue. Le problème touche davantage les immigrants, dit-elle. Mais les Québécois de souche ne sont pas épargnés non plus.
« Quand je dis qu’il y a des personnes, ici au Québec, qui ne savent ni lire ni écrire, cela inclut tout le monde. Ce n’est pas seulement les immigrants. Il y a des Québécois de souche aussi », précise Ninette Piou.
Là-dedans, on retrouve beaucoup de personnes issues de l’immigration, notamment de la catégorie « regroupement familial », des enfants, nés ici, de souches immigrantes, des immigrants qui ne connaissent pas l’alphabet français et des Québécois de souche “qui n’ont pas été scolarisés en raison de problème de santé au cours de leur plus jeune âge”.
Les chiffres dans le monde
-Au Québec,selon une Enquête publiée en 2024 par la Fondation pour l'alphabétisation, 22 % de la population est susceptible de se retrouver dans une situation où elle éprouvera de grandes ou de très grandes difficultés à lire et à utiliser l’écrit. En 2013, 19 % des répondants se trouvaient à ce niveau.
- Une personne sur trois (30 %) au Québec est susceptible de se retrouver dans une situation où sa capacité à lire sera relative à la présence de conditions facilitantes ou d’environnements écrits non complexes. En 2013, 34,3 % des répondants se trouvaient à ce niveau.
- Malgré les progrès accomplis, au moins 739 millions de jeunes et d’adultes dans le monde ne possèdent toujours pas les compétences de base en lecture et en écriture en 2024.
- Parallèlement, 4 enfants sur 10 n’atteignent pas le niveau minimum de compétences en lecture, et 272 millions d’enfants et d’adolescents étaient déscolarisés en 2023.
Ces chiffres sont de l’UNESCO qui propose, cette année, de «Promouvoir l’alphabétisation à l’ère numérique », comme thème, cette année.
« Ce virage numérique risque aussi d’entraîner une double marginalisation : exclusion non seulement de l’apprentissage traditionnel, mais aussi des bénéfices de l’ère numérique », indique l’organisation dans un communiqué.
Au Québec, on parle d’environ 22% de la population qui n’arrivent pas à fonctionner normalement dans le système. « Une société qui veut se développer a l’obligation d’avoir une population alphabétisée. Sinon cela constitue un handicap majeur », fait remarquer Mme Piou.
«Il faudrait une véritable politique de lutte à l’analphabétisme. Elle existe. Mais elle doit être accompagnée d’actions concrètes », ajoute la directrice du Centre NA RIVÉ.

À titre d’exemple, elle déplore le fait que l’apport du ministère de l’Éducation nationale comme soutien à la mission du Centre représente 25% seulement de son budget. « Pour trouver les 75% manquant, on doit écrire des projets et frapper les portes d’autres ministères », indique Ninette Piou.
Outre la communauté haïtienne, plus d’une vingtaine d’autres obtiennent aujourd’hui le pain de l’alphabétisation ou de francisation lors d’ateliers qui ont lieu au Coin de Saint-Denis et Bélanger, à Montréal.
«Ce sont en majorité des femmes avec enfants en bas âge qui ne peuvent pas assister aux ateliers offerts par le gouvernement en raison de leur emploi du temps à la maison. Elles viennent de pays du Maghreb, de l’Afrique et environ 4% ont moins de 25 ans», précise la directrice générale du Centre, Ninette Piou.
Le pourcentage de gens qui sont analphabètes à Montréal étonne les intervenants du Centre. Mais, la «gêne et la honte» freinent leur élan vers le savoir, selon Mme Piou.
«Ils arrivent sous le couvert de la francisation le plus souvent, dit-elle, et on va découvrir qu’ils ne savent pas lire du tout. Il y en a qui parlent le français, mais ne savent ni lire ni écrire.»
Apprendre à lire en créole au Québec

Depuis 1983, le Centre Na rivé institue l’alphabétisation en langue créole dans le cadre d’ateliers qui ont lieu à Montréal. Ceci avait provoqué un tollé au sein de la communauté haïtienne. Beaucoup étaient scandalisés par cela et prétendaient que les gens n’arriveraient jamais à s’intégrer ainsi.
Ninette Piou se souvient encore que des détracteurs de cette idée venaient devant les locaux de l’organisme pour apostropher et décourager les clients. Ces derniers ont tenté ensuite de les rediriger vers d’autres organismes.
«Des gens disaient qu’on était en train de les abrutir. Or, l’on sait que lorsque les gens apprennent à lire dans leur langue maternelle il leur est plus facile de faire le virage vers une 2e langue. Et aujourd’hui cela fonctionne», note cette ancienne normalienne de l’École nationale supérieure en Haïti et qui dirige l’organisme depuis bientôt 40 ans déjà.
De plus, depuis plusieurs années déjà, le Centre Na Rivé aide les jeunes et les moins jeunes, Québécois ou immigrants à obtenir leur diplôme de secondaire 5 grâce à cette langue créole.
Le Centre Na rivé dispose de la reconnaissance du ministère de l’Éducation pour son programme d’alpha. Moyennant 100h d’activités en créole, jeunes et vieux peuvent compléter leur programme de secondaire 5 au Québec.
L’ancien professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Franklyn Midy, y mettait son grain de sel dans l’apprentissage en créole. Pour le compte du Centre Na rivé, il avait édité le livre «Aprann li» qui sert encore de base.
L’alphabétisation contre la déportation
L’exigence de la maîtrise du français par les immigrants qui fait débat aujourd’hui au Québec ne date pas d’hier. Sous la dictature de Jean-Claude Duvalier (Baby Doc), arrivés au pouvoir à la mort de son père en 1971, chaque semaine au moins 250 Haïtiens arrivaient par avion à Montréal.
Un bon nombre d’entre eux ne parlait pas ou ne maitrisait assez la langue française et était sous la menace de déportation. Car, Immigration Québec accordait et accorde encore beaucoup de points pour le français. Et le petit comité de cinq personnes, qui assurait des ateliers de “communication française” dans les locaux du Bureau de la communauté chrétienne de Montréal (BCCHM), s’est rendu compte qu’il passait à côté du but.
«Les gens n’arrivaient pas à acquérir les notions de base et le comité en arrive à la conclusion qu’il y avait un problème d’alphabétisation. Les gens n’étaient pas prêts à passer le test de français au ministère de l’Immigration», se remémore toujours Ninette Piou.
Et c’est alors que l’alphabétisation prenait une place importante dans les ateliers. «L’alphabétisation a pris le dessus ainsi, mais les deux vont ensemble jusqu’à présent. On a toujours arrimé les deux», précise la responsable du Centre.
Ce article a été rédigé grâce à l’appui duFonds du Canada pour les périodiques (FCP) du gouvernement du Canada



