OCHAN pour Molière Estinvil : modèle pour la jeunesse haïtienne - Intexto, Journal Nou
- Home
- /
- Remous communautaires
- /
- OCHAN pour Molière Estinvil : modèle pour la jeunesse haïtienne
Par Laennec Hurbon
J’avais (12) ans quand j‘étais interpelé dans la rue à Jacmel par Molière connu de tous comme un chef scout : « Tu as l’âge pour devenir un scout, me disait-il. » Dès le prochain week-end, je vais être embarqué dans la troupe de Jacmel pendant deux ans.
J’ai alors l’opportunité de découvrir en Molière un chef scout passionné, adonné à l’éducation des jeunes de la ville, en les initiant à leur environnement, en leur apprenant le sens du dévouement, du service et du respect pour les gens de toutes classes sociales. Je resterai en relation avec Molière toute sa vie, il est devenu comme un membre de ma famille et moi aussi comme un membre de la sienne. Je demeure aujourd’hui – avec toute sa famille- inconsolable devant son départ pour l’au-delà.
Face à la montée de la dictature de Duvalier dans les années 1957 – 1960, Molière prend le risque de créer un mouvement appelé Cercle de l’amitié, qui rassemble des jeunes de toutes les catégories sociales pour les préparer à la solidarité face à la terreur qui vient. Molière avait alors reçu de manière relativement secrète une véritable initiation à l’histoire sociale et politique du pays à travers la fréquentation assidue d’un professeur d’histoire respecté, Jean Jacques Dessalines Ambroise, un opposant célèbre à la dictature, assassiné plus tard (en 1966) en prison par Duvalier.
Molière lui-même fut recherché par la police politique du régime à cause de son ascendant sur les jeunes et surtout de ses activités culturelles. Il a dû passer plusieurs mois en clandestinité avant de rejoindre à pied la capitale. C’est de là qu’il réussit à partir incognito pour l’étranger.
Molière ne renonce pas pour autant à sa volonté de participer au changement de la vie sociale et politique en poursuivant une vie de lutte sans relâche contre la dictature, en se consacrant en Europe à diverses missions subversives mais réfléchies, tout en se sentant responsable de l’avenir de sa famille dans la situation de précarité ouverte par l’ère duvaliériste.
Alors que je poursuis mes études à l’Institut Catholique de Paris, Molière vient me visiter impromptu un matin et me confie qu’il est prêt à tous les sacrifices pour continuer sa vie de militant.
Face à la honte que représente la dictature héréditaire (1971-1986) des Duvalier, il comprend que les luttes doivent s’enraciner d’abord dans les idées. Depuis la Suisse, où il est refugié, il décide de créer un groupe de réflexion sur les problèmes culturels, sociaux et économiques du pays en mobilisant de nombreux étudiants dispersés en Europe et qu’il réunit pendant les vacances d’été.
Le groupe est appelé GERHA (Groupe d’Études et de Recherches sur Haïti). Il parvient à engager les personnalités les plus distantes par rapport au politique. Beaucoup d’entre nous se souviennent de ces moments de convivialité et de préparation à un retour au pays natal.
Bien plus tard, Molière m’informe qu’il a quitté la Suisse, je lui demande pourquoi, il me répond que c’est un pays trop bien structuré pour lui et qui ne permet pas d’entreprendre des activités visant le moindre changement. Finalement, Molière se retrouve à Montréal où je vais le voir chaque année.
Je pensais qu’il aurait perdu espoir pour Haïti. Il interviendra cependant dans la vie de la communauté haïtienne. C’est sous son inspiration qu’un programme de perfectionnement en français du BCCHM se lança dans l’alphabétisation et devint le Centre Na Rivé : « Oui, nous pouvons réussir ».
Par la suite, il sera un médiateur entre des écoles de Montréal et les familles haïtiennes, avec l’appui de la Direction de la protection de la jeunesse, pour éviter que des jeunes de la communauté ne se retrouvent avec des dossiers dans les services sociaux.
Molière ne rêvait plus que d’un retour définitif à Jacmel quand il a été terrassé par la maladie. Peut-être qu’il souffrait en silence la crise ou plutôt la tragédie que connait le pays sous la violence des gangs en métastase à travers la plupart des villes.
Molière demeure pour toute la jeunesse du pays un résistant face à la dictature et un citoyen modèle en lutte contre tout apartheid culturel et social.