Le militaire aux commandes de DameSara épicerie

Avec six pieds 4 et une carrure imposante, Isaac Bosquet, 40 ans, est taillé sur mesure pour les Forces canadiennes. Il s’y est enrôlé dès qu’il a pu le faire après son arrivée au Canada, en 2008, comme demandeur d’asile et s’y est formé en Technique aéronautique. C’est un spécialiste en système d’atterrissage d’avion.
Isaac est sorti 2e lauréat de sa promotion et adore l’armée. «J’ai toujours ma carte de vétéran. Je l’ai toujours avec moi » nous dit-il fièrement. Mais alors qu’il est basé à Trenton (en Ontario) pendant la COVID, en 2020, il rejoint sa bulle familiale comme le recommandaient les consignes sanitaires avant d’espérer y retourner.
Mais, les choses ne se déroulent pas comme prévu et il ne peut regagner sa base. Il tente alors de trouver un poste au Québec lorsqu’il était possible de reprendre ses fonctions, mais il n’y en avait de temps plein, ici. Il a une femme et des enfants qui doivent avoir du pain et du beurre sur la table.

Né à Cité-Soleil (le plus grand bidonville de Port-au-Prince) et habitué à la débrouillardise, le militaire décide de lancer un petit commerce de savons, de pattes et déodorants vers Haïti. Il crée ensuite un site Internet Damesara.ca pour vendre des produits d’épicerie antillais, en ligne.
DameSara est née.
« Le restaurant haïtien Koupé dwèt a été notre premier client », se souvient-il encore aujourd’hui.
Isaac prend son bâton de pèlerin et arpente le grand Montréal à la recherche de marchés haïtiens. Il en répertorie 400 environ. De ce nombre, la moitié fait affaire avec lui aujourd’hui.
Isaac prend des risques, même avec sa famille. Il hypothèque la maison familiale et récupère $ 100 000 qu’il jette dans le projet comme une bouteille à la mer remplie de ses calculs à lui.
Il frappe à toutes les portes: Afro-Entrepreneur, PME-Mtl, FACE, le Groupe 3737 pour des formations sur l’entrepreneuriat et du financement. Pendant six ans, il vend sa salade à tout le monde jusqu’à réunir une centaine d’investisseurs autour de lui, dont le Dr Gracia Étienne qui dit miser sur sa « transparence » dans les affaires.
Ce dernier vient d’injecter 4 millions de dollars dans l’entreprise, ce qui fait de lui l’actionnaire majoritaire à la place de Isaac Bosquet. « Heureusement pour moi. Car ce sera plus facile de supporter la croissance », dit-il avec presque un sourire dans la voix.
Depuis 2020, Isaac Bosquet ne percevait pas de salaire, vivant aux crochets de sa femme qu’il ne manque pas de remercier. « C’est le Dr Gracia qui a trouvé que ce n’était pas juste que je n’aie pas de salaire. Depuis tout ce temps, c’est le salaire de ma femme qui supportait toute la famille», s’épanche le DG de DameSara en entrevue avec In Texto.
«Oui, cela a coûté cher à ma famille. Je n’ai pas été souvent là pour mes enfants », déplore-t-il.
Pourtant, il s’assurait que les employés aient un dû. Comme Lili Cao, une femme d’origine asiatique, qui, après un stage, voulait travailler gratuitement au début. Idem pour Kamal Subramaniam, un comptable d’origine hindou qui avait perdu son emploi pendant la COVID et qui travaille comme chauffeur depuis trois ans chez Damesara. Ou encore Ulrick Bosquet.

Isaac n’en finit pas d’apprendre. Après un Certificat de HEC en Logistique et opération. Il suit des formations continues en économie, car il veut inscrire DameSara à la bourse de Toronto.
Il n’en finit pas non plus de convaincre des gens de la communauté à s’engager dans l’aventure DameSara. D’un petit commerce de savons, pattes et déodorants, il dirige un investissement de 5 millions de dollars aujourd’hui.
Elle fournit de la viande hallal dans les prisons. Elle a comme client pour différents produits le ministère de la Sécurité publique, l’Aquarium Québec, le ministère des Transports, la Société de la Baie James et le Biodôme de Montréal qui lui font confiance en affaires.
Isaac songe à une croissance par acquisition stratégique et espère moderniser les marchés haïtiens en se lançant dans le repreneuriat (racheter des petits commerces au sein de la communauté), car « il n’y a pas de relève.»
« Mon objectif ce n’est pas gagné un gros salaire. J’aurais préféré payer un DG pour faire ce que je fais : réunir les gens et créer dans la communauté », rêve Isaac.



